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Episode 2 - De la création de l'école à l'émergence de l'amicale des anciens élèves

Il était une fois Sup de Co Amiens

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20/09/2025

A vous toutes et vous tous qui nous faites l'amitié de vous intéresser à l'histoire de notre école, bienvenue pour ce nouvel épisode qui va nous emmener de la création de l'école à la fondation de la première association d'anciens élèves.


Nous avions conclu le précédent épisode en évoquant la réforme de 1937 qui offrait pour la première fois un cadre national commun aux écoles de commerce françaises et allait leur permettre de progresser sur le chemin d'une plus grande légitimité. Nous avions rappelé également qu'il y avait bien d'autres sujets de préoccupation à l'aube de la 2ème guerre mondiale.


🌍 Le tournant de 1942

Nous n'aurons pas la prétention de brosser ici un tableau détaillé de la situation du monde mais laissez nous vous soumettre ces deux points qui éclairent la suite de nos propos.

- Le vent commence à tourner en faveur des forces alliées : la Wehrmacht s’enlise devant Stalingrad, les Britanniques remportent la bataille d’El Alamein et les Alliés débarquent au mois de novembre en Afrique du Nord. L'issue de la guerre reste incertaine mais un frémissement d’espoir se manifeste.

- La France, coupée en deux depuis 1940, voit alors disparaitre sa zone libre en novembre. Le Service du travail obligatoire (STO) se met en place, faisant planer sur les jeunes gens la menace d’un départ forcé vers l’Allemagne.


🌩️ Une création ... "à contretemps"

Dans ce contexte, il fallait oser créer une école... où peut-être était ce assurément le bon moment ?

C'est en tout cas assurément le moment de vous parler du docteur Christian PERDU. Médecin accoucheur de profession, adjoint au maire, qui se révéla aussi accoucheur… d’écoles. Convaincu qu’il fallait offrir à la jeunesse picarde une alternative au départ, il oeuvra à la création d’un Centre universitaire de Picardie comprenant une école de capacité en droit, une école d'agriculture et donc, une école de commerce. Ce faisant, on estime qu'il aura protégé du STO quelques 600 personnes.

Homme d’action autant qu’homme d’idées, Le Dr PERDU aura marqué son temps : président de sociétés savantes, animateur d’œuvres sociales, il a incarné cette génération de notables locaux qui croyaient à la force des initiatives collectives. On lui reconnait sa participation à la résistance en contribuant à la réalisation de fausses cartes d'identité et il se distingua plus encore lorsqu'il monta en moins de 15 jours durant l'été 44 un hôpital chirurgical de 100 lits, anticipant la coupure des ponts de la Somme du fait des combats.

Il s'est éteint en 1959 mais ce médecin, élu local et visionnaire, aura donné à Amiens bien plus qu’une école... La mémoire de l'ESC ne s’y est pas trompée : l’Association des Anciens Elèves baptisera la promotion 1963 de son nom, nous aurons l'occasion d'y revenir.


Le 10 novembre 1942, le Conseil municipal adopte une délibération qui officialise la naissance de l’École Supérieure de Commerce de Picardie. L’État local s’active : le Préfet valide, la Chambre de commerce d’Amiens s’engage, le Département de la Somme apporte son concours.

Les premiers cours eurent lieu dans un lieu à la fois symbolique et… pratique : l’ancien évêché de la cathédrale d’Amiens, alors annexe de la faculté de médecine, adresse 18 place Saint-Michel. Ce qui devait n’être probablement qu’un hébergement temporaire allait devenir le siège de l’ESC, une adresse que tous les Alumni connaissent encore aujourd’hui. 

La gouvernance fût confiée à un Conseil d’administration où siégeaient :

  • trois représentants de la Mairie d'Amiens, dont Camille GORET, premier adjoint, Président de droit

  • trois représentants du Conseil Général

  • le président du Tribunal de commerce, M. FREDERIC PETIT

  • des représentants de la CCI d’Amiens comme Alfred HUNEBELLE et Émile THUILLEZ

  • sans oublier bien sûr le Dr Christian PERDU, fondateur et Pierre GARNIER, premier directeur de l’école, ancien élève d'HEC, qui deviendra une figure durable de la direction dans les années 50–60 .


Ainsi, dans la tourmente, Amiens se dotait d’une école, que l'on pu croire née "à contretemps" mais en fait portée par une conviction collective : il fallait garder la jeunesse sur place, l’ancrer dans les études plutôt que la voir partir de force à l’étranger, aux fins de préparer la reconstruction du pays qui ne manquerait pas de se présenter un jour.


📚 Le pari pédagogique

Nous l'avons vu dans le précédent épisode : depuis leur création, fin XIXème, début du XXème siècle, les écoles de commerce gravissent péniblement les marches de la reconnaissance sociale, économique et académique. Peut-être est-ce pour cela que les fondateurs veillèrent, dès ses premiers pas, à rapprocher l'ESC des standards définis par le décret de 1937, celui-là même qui posait les bases de la reconnaissance des écoles de commerce françaises.

L’admission se fera donc par concours, avec ses épreuves écrites et orales : composition française, géographie, langues vivantes, mathématiques, sciences… Rien de révolutionnaire mais un socle qui se voulait sérieux. Il n'en reste pas moins que les premiers effectifs étaient bien modestes : en 1944–45, seulement 20 candidats s'étaient présentés et 14 furent retenus... dont 4 filles !

Le programme ? Comme nombre de ses consœurs, l'école se faisait en deux ans, rythmés par des matières qui pour une part résonnent encore aujourd’hui :

  • commerce, comptabilité, vente et publicité,

  • droit civil et commercial, économie politique et sociale,

  • organisation des entreprises, transports, géographie économique,

  • langues vivantes (anglais obligatoire, déjà ! 😅),

  • et, plus surprenant, et peut-être lié aux rares compétences disponibles, des cours de dessins et de sténo-dactylo...


Le fait est que le corps professoral est loin de réunir un parterre de brillants universitaires. On fait feu de tout bois : juges du tribunal, avocats, experts-comptables, professeurs de lycée, ingénieurs des Arts et Métiers… Un patchwork de savoirs et d’expériences, sans doute très pragmatique, délivrant peut-être un enseignement de qualité très inégale. En cette période de guerre, on peut supposer qu'il fallait avant toute chose mobiliser toutes les bonnes volontés disponibles, sans faire trop de cas du niveau académique...

Ce qui n'empêche pas l’ESC d'exiger un stage obligatoire en entreprise, ponctué d'un rapport de fin d’études, présenté à l’oral lors de l’examen final. C'était semble-t-il assez rare à l'époque et l'on peut y voir la volonté des fondateurs de confronter la formation dispensée aux réalités des entreprises.

Bref, malgré la guerre, le manque de moyens, on aura voulu prouver que cette petite école se voulait exigeante, crédible et utile à son territoire. Un pari pédagogique audacieux, mené tambour battant en plein chaos.


🎓 Les premières promotions

Et vint le temps des premiers diplômés. On imagine sans peine ce qu'il pouvait y avoir d'incongru, voire d'étrange, à passer ses examens de fin d’études en août 1944, alors que les combats de la Libération faisaient rage dans la région. Pourtant, l’ESC de Picardie tint bon et organisa ses épreuves.

Les sujets de thèses de fin d’études disent beaucoup du monde dans lequel vivaient ces pionniers :

  • "Les gazogènes de véhicules" : invention de fortune pour pallier la pénurie d’essence.

  • "Le lait et les produits dérivés" ou "La houille" : denrées vitales dans une économie de guerre.

  • "Les ressources minières de nos colonies" : reflet de l’ancrage colonial de la France d'alors.

  • "Stage à la Banque de France" : déjà l’ouverture vers le secteur bancaire. Voilà qui fera plaisir aux collaborateurs de la Banque de France qui interviennent encore aujourd'hui devant les promotions actuelles ! 😉


En décembre 1944, la première promotion fut baptisée "Promotion-Libération".

Le symbole était fort : une école née sous l’Occupation qui, à peine deux ans plus tard, célébrait la fin de la guerre en inscrivant ce mot au fronton de sa mémoire collective. Une manière d'affirmer que l’ESC Picardie n’était pas une école comme les autres mais une école née de la guerre et tournée vers la reconstruction.


💡Chère école, si nous remettions au goût du jour cette tradition de baptiser les promotions ? ☺️


Ces jeunes Picards n’étaient qu’une poignée. Dans le contexte qui fût le leur,  nous ne pouvons que les remercier d'avoir posé les premières pierres de notre histoire.


🎺 La rentrée solennelle de 1944

Le 6 novembre 1944, quelques semaines après la Libération de la ville survenue le 31 août, l’ESC de Picardie célèbre sa rentrée solennelle (mais qui sait encore écrire solo.. solle... solennelle en 2025 ? 😅). L’Hôtel de la Chambre de commerce d’Amiens, sise au 4 rue de Noyon, accueille l’événement. 

Outre les élèves de la première promotion et les nouveaux venus qui allaient former les promotions suivantes, étaient présents ce jour là le maire M. VAST, le président de la CCI Alfred HUNEBELLE, l’évêque Mgr MARTIN, fait notable, un représentant des forces alliées, le commandant ELLIOTT en uniforme s'il vous plait, le docteur Christian PERDU ainsi que l’ancien maire M. ROLLIN, figure de la Résistance locale et nombre de notables de la ville. Une représentation qui en dit long sur l'importance accordée à cette jeune institution.

Dans son discours, le directeur Pierre GARNIER marqua les esprits par une formule simple et claire qui résonnait dans un pays qui s'apprêtait à voir les blindés de LECLERC faire honneur au serment prêté à Koufra : "La force ne prime plus le droit." 

Puis ce fut au tour d’Alfred HUNEBELLE, Président de la CCI, de tirer les leçons de la tragédie : 

"Ne pas croire au miracle et comprendre, pour ne pas l’oublier. La rude leçon que nous a donnée le Destin : travailler toujours pour que la France continue de vivre."

Dans cette salle de la Chambre de commerce qui réunissait alors tout ce que l'école comptait de soutien, peut-être que les élèves ont eu conscience qu'un projet plus grand que l’école voyait le jour : celui de la reconstruction d’un pays. L'ESC de Picardie, toute jeune et encore fragile, se devait de prendre sa part.


🤝 Décembre 1944 : naissance de l'amicale des anciens

Un mois après la rentrée solennelle, se tient le 9 décembre 1944 l'Assemblée Générale Constitutive de lAssociation Amicale des Anciens Elèves de l’École Supérieure de Commerce de Picardie.

On aurait pu attendre, laisser passer quelques années… Mais non... La hâte disait bien l’urgence de se doter d'un réseau, d'une "famille" professionnelle.

Parmi les membres d'honneur nommés ce jour là, le Président de la Chambre de commerce Alfred HUNEBELLE, le fondateur Christian PERDU, Camille GORET, premier adjoint au maire...

Le premier Bureau est élu parmi les élèves de la promotion 1944, désignant Michel TELLIER comme président, Max ARNIAUD comme secrétaire général, Serge MOUQUET, Roger DELAPLACE, Jean MOQUET et Jean LIGNEREUX.

Les statuts votés à l’unanimité fixaient un programme ambitieux : maintenir la camaraderie, créer une commission de placement, publier des bulletins réguliers, et même constituer une caisse de secours pour les membres dans le besoin. On était dans la grande tradition des associations d’anciens : entraide, réseau, solidarité.


🔔Mais comment savons nous tout cela ⁉️

Hé bien grâce à Max ARNIAUD justement... J'étais alors Président de l'ASCA, ancêtre de l'ESC Amiens Alumni dans les années 90/2000 et ce jour là, j'étais à l'ESC. On est venu me chercher pour me dire qu'un "Monsieur" souhaitait me voir : c'était lui, avec une énorme pochette remplie de documents relatant l'histoire de l'école... "Voilà", m'a-t-il dit, "ça fait un moment qu'on vous regarde, vous et cette équipe qui relancez l'association des anciens et on s'est dit qu'il était temps et que vous méritiez que l'on vous transmettre tout cela"... Difficile de vous dire l'émotion qui m'a saisi ce jour là ! Et sans doute voyez vous là un peu ce qui m'anime pour venir repartager tout cela aujourd'hui... 🤗

C'est ainsi que nous avons en main le 1er bulletin de cette association, daté du 1er semestre 1945 et tiré à 2000 exemplaires ; c'est vous dire si les auteurs avaient l'ambition de faire connaitre leur action ! 😯 Si vous aimez vous aussi vous plonger dans les vieux bouquins, je vous laisse imaginer le toucher de ce petit fascicule, son odeur...

Visez donc le style et la langue avec cet extrait de la préface signée du Président de la CCI.

"Vous avez, mes jeunes amis, tenu à me confier le soin de préfacer le 1er numéro du Bulletin de votre Association Amicale des Anciens Elèves de l'Ecole Supérieure de Commerce de Picardie ; c'est là une attention dont "l'Ancien" que je suis moi-même [de l'ESCP, celle de Paris ! ☺️], apprécie toute la délicatesse, d'autant qu'elle me procure l'occasion de vous féliciter de l'initiative heureuse que constitue la création de cette association.

Je dis "initiative heureuse", en fait, c'est bien plutôt d'utile et d'humaine que je devrais la qualifier.

En effet, cette Association doit être à travers les ans, le trait d'union rassemblant solidement et étroitement unis tous ceux venus à l'Ecole Supérieure de Commerce de Picardie, pour y forger l'outil nécessaire à se tracer un chemin dans la vie et entretenant chez tous, les sentiments d'altruisme qui doivent, plus que jamais, animer la jeunesse de France."

Mazette !!! 😳😳😳

Dans ce bulletin, nous avons trouvé également la liste des professeurs, le règlement des études, les sujets des thèses de la première promotion… Mais aussi une rubrique « Nouvelles » avec ses mariages, naissances, décès et notes « aux armées ». Preuve que l’école se voulait déjà une communauté soudée, attentive à chacun de ses membres.


🎬 Une école née dans la tourmente, bien décidée à prendre sa place

Entre 1942 et 1945, l’ESC de Picardie a vu le jour dans des conditions que l’on aurait pu croire impossibles. Conçue en pleine Occupation pour retenir les jeunes sur place, elle a trouvé refuge dans des locaux provisoires, mobilisé un corps professoral de circonstance, bâti un programme, délivré ses premiers diplômes, célébrée sa première rentrée, portée sur les fonds baptismaux la création d'une amicale des anciens élèves, tout cela durant une période pendant laquelle le pays ne manqua pas de connaitre d'âpres combats et bien des vicissitudes avant sa libération.

Cette aventure porte la marque d’un homme, le docteur Christian PERDU, mais aussi celle d’une mobilisation locale : Ville d’Amiens, Chambre de commerce, Tribunal de commerce, Département. Tous ont œuvré à faire exister cette école de commerce et assurer son avenir.

Au sortir de la guerre, l’ESC Amiens est sur les rails. Elle devra, dans les années suivantes, se mettre en conformité avec les grandes réformes nationales, s’affirmer face à ses consœurs, se tailler une place dans le paysage encore balbutiant des écoles de commerce françaises...


Mais ça, c’est une autre histoire, que nous vous conterons au prochain épisode. 😉


En attendant, vous trouverez en documents ci-joints un extrait de délibération du Conseil Municipal d'Amiens (publié par l'école à l'occasion de ses 80 ans dans le livret "ESC Amiens, la petite histoire d'une Grande Ecole"), un portrait du Dr Christian PERDU, issu du dictionnaire politique de la Somme disponible aux Archives Départementales et l'intégralité du 1er bulletin de l'Amicale des Anciens Elèves de l'Ecole Supérieure de Commerce de Picardie.



Christophe MATHIEU, ESC 89, Conteur



Retrouvez ici l'épisode pilote et là, l'épisode n°1.

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